DES
GOUTTES D'EAU INDEFORMABLES ??
I/Une découverte étonnante :
Dans les livres pour enfants, les gouttes d'eau sont très fréquemment
représentées sous forme de larme. Mais pourtant si l'on
filmait des gouttes d'eau au ralenti, on ne verrait, tout au long de
leur chute, qu'une multitude de petites sphères presque parfaites.
Elles glissent ainsi sans que rien ne déforme leur géométrie
impeccable, jusqu'à ce qu'elles touchent le sol. C'est la fin
de leur état de grâce. Dans un dernier sursaut, elles tentent
en rebondissant de retrouver un bref instant leur forme sphérique.
Mais la gravité est plus forte et finit par les clouer à
terre. C'est le destin tragique de toute les gouttes d'eau, quel qu'en
soit le liquide.
Deux chercheurs du Laboratoire de physique de le matière condensée
(collège de France), David Quéré et Pascale Aussilous,
se sont penchés sur leur sort. "Nous voulions recréer
des gouttes d'eau qui soient les plus proches possible de celles qui
tombent des nuages", explique David Quéré. Et leur
mission est accomplie: dans un laboratoire parisien, les gouttes ont
retrouvé comme par miracle leur forme originelle de sphères
quasi parfaites. Elles roulent, virevoltent et rebondissent sans jamais
se briser ni rien mouiller sur leur passage. Ce qui est plus extraordinaire,
c'est qu'elles flottent si on les pose délicatement sur l'eau!(image
sans titre 1) Le secret de cette incroyable réussite est
une pincée de poudre hydrophobe, autrement dit une substance
qui n'aime pas l'eau. les chercheurs font délicatement rouler
des gouttes d'eau dans cette poudre, qui peut-être constituée,
par exemple, de spores de fougères (lycopodes), de suif, de grains
de cire ou encore de téflon. Comme cette poudre hydrophobe ne
veut pas rentrer dans l'eau, elle reste autour de la goutte, formant
une sorte de capsule protectrice d'à peine un millième
de millimètre d'épaisseur.(image
4) La goutte n'a plus de contact avec le support sur lequel elle
est posée, et elle conserve sa forme naturelle de sphère.
Grâce à la substance hydrophobe, la goutte, posée
sur une surface dure, garde sa forme sphérique quasi parfaite.
Une goutte d'eau normale, elle, s'étale.
II/Un nouveau statut: à la fois solide
et liquide :
Ces gouttes d'un nouveau genre sont baptisées "billes liquides":
elles sont liquides à 99% et solides à 1%. Elles ont donc
un statut pseudo-liquide. Résultat: elles roulent! Elles dévalent
même des plans inclinés, et ce d'autant plus rapidement
qu'elles sont petites. Voilà qui est, a priori, plutôt
surprenant. Les billes les plus grosses ont tendance à s'affaisser
légèrement sur elles-mêmes. Le contact avec la surface
sur laquelle elles roulent devient plus important, ce qui ralentit leur
course. Voilà pourquoi les grosses billes se font doubler par
les petites. "La facilité avec laquelle les billes se déplacent
les rend particulièrement intéressantes pour de futures
applications. C'est un bon moyen de transporter de toutes petites quantités
de liquide sans perte, pour des analyses d'ADN, par exemple, ou des
microréactions chimiques."
Le phénomène devient plus spectaculaire encore: lorsqu'elles
atteignent une certaine vitesse, elles changent de forme pour ressembler
à des roues, puis à des cacahuètes!
La transformation, filmée à l'aide d'une caméra
ultra-rapide, est bluffante. "Des scientifiques américains
de la NASA avaient déjà réussi à obtenir,
en apesanteur, ce genre de cacahuètes liquides. En revanche,
c'est la première fois que la forme de roue apparaît expérimentalement.
Dès le début du 19ème siècles, le mathématicien
et physicien français Pierre Simon de Laplace avait prévu
qu'une goutte d'eau en rotation pouvait théoriquement adopter
cet état, précisant qu'il était très instable.
En fait, il est métastable: il suffit d'un petit incident ou
d'une légère dissymétrie pour que la roue se transforme
irrémédiablement en cacahuètes." Les expériences
menées au Collège de France ont permis de valider l'hypothèse
de Laplace; qui n'avait pu être testée jusque-là
puisque les gouttes "classiques" glissent et ne roulent pas.
Après avoir obtenu ces résultats, Pascale Aussillous fait
passer aux billes liquides toute une batterie de tests pour étudier
leur comportement dynamique et leur solidité: hauteur maximale
à partir de laquelle elles tombent sans se briser, masse limite
qu'elles peuvent supporter sans éclater. Un passage obligé
si les petites billes veulent conquérir le monde de la chimie
et de la biologie...
III/Une nouvelle découverte pour les
cultivateurs :
Si certains industriels s'intéressent aux gouttes
qui roulent, d'autres rêvent exactement du contraire: des gouttes
qui s'étalent immédiatement, sans le moindre rebond ni
la moindre éclaboussure. le rebond naturel des gouttes est un
véritable cauchemar pour les utilisateurs d'herbicides, insecticides
et autres pesticides. En effet, lorsqu'ils pulvérisent leurs
plantations, les gouttes de produit traitant rebondissent sur les feuilles,
car la plupart des surfaces végétales sont naturellement
hydrophobes. Le liquide de traitement finit donc sa course par terre,
en pure perte. D'ailleurs un physicien du laboratoire de physique statistique
de l'école normale supérieure de Paris nommé Vance
Bergeron précise "qu'en moyenne, 80% du produit pulvérisé
est ainsi gaspillé. Cela représente non seulement une
perte d'argent mais aussi une pollution inutile pour les sols."
En 1997, les laboratoires RHODIA à Lyon ont demandé à
des spécialistes des gouttes de trouver un moyen de les empêcher
de rebondir systématiquement. Vance Bergeron, avec d'autres scientifiques
de RHODIA, a trouvé des méthodes radicales: vider les
gouttes de leur énergie. "Lorsqu'une goutte atterrit sur
une surface, elle possède une certaine vitesse donc, une certaine
énergie. Elle commence par s'étaler sous l'effet de la
gravité, mais, comme cette configuration ne lui convient pas,
elle utilise l'énergie de la chute pour se rassembler et reformer
une sphère. A tel point qu'elle parvient à quitter la
surface: elle rebondit. pour l'en empêcher, il suffit de dissiper
l'énergie de la goutte dès qu'elle atterrit", explique
le physicien. L'astuce: lui ajouter du sucre. Ou plus précisément,
de la gomme de guar. Ce polysaccharide? extrait d'une plante buissonnante
(cyamopisis tétragonoloba taub) que l'on trouve dans des régions
désertiques de l'Inde et du Pakistan, est couramment utilisée
comme additif alimentaire. "Lorsque la goutte s'écrase,
les molécules géantes du polysaccharide,
100 000 fois plus grandes que les molécules d'eau, s'étalent
de tout leur long et absorbent, dans leur déploiement, l'énergie
de la goutte. Celle ci n'a donc plus la force de rebondir. C'est un
peu comme si on la rendait visqueuse." Sur les images à
très grande vitesse, la goutte sucrée s'écrase,
puis oscille légèrement, mais ne rebondit pas. L'effet
est surprenant.
"Grâce à ce procédé simple
et naturel, il reste deux fois plus de produit sur les feuilles après
la pulvérisation", garantie le physicien. Détenteur
du brevet, RHODIA produit désormais une solution à base
de guar, essentiellement utilisée en Amérique de Nord.
Elle entre dans la composition d'adjuvants que les agriculteurs utilisent
pour renforcer l'efficacité des traitements herbicides.
Les inventeurs des 'gouttes qui ne rebondissent pas' en sont convaincus
: il y a un filon à exploiter... jusqu'à la dernière
goutte !
Source: Sciences et Vie
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